Cet article est le premier numéro de la série l’épopée des rois de France.
Comment le royaume des Francs est-il né des ruines de l’Empire Romain ? Comment Clovis a-t-il conquis toute la Gaule ? Ses successeurs ont-ils réussi à maintenir l’unité du royaume ? Comment Dagobert Ier a-t-il pris les rênes du royaume ?
Je vous laisse découvrir ces réponses, capitales dans la construction de ce qui donnera plus tard la France.
Temps de lecture : environ 17 minutes.
Frise chronologique – De la Gaule romaine à Clovis
I- La naissance du royaume des Francs sur les ruines de l’Empire romain
C’est dans la Gaule romaine (jusqu’en 480), avec des reliquats de l’Empire romain, un christianisme de plus en plus influant, et sous le commandement d’une ancienne tribu barbare que va naître le royaume des Francs.
1. Le déclin progressif de l’Empire romain
L’Empire romain à son apogée au milieu du IIe siècle
Durant la Pax Romana, qui s’étend de 27 av. J.-C. à environ 180 ap. J.-C., l’Empire romain atteint son étendue territoriale maximale, s’étendant de la Grande-Bretagne à l’est de l’Europe, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient. Cette époque est caractérisée par un relatif calme interne, une stabilité politique, un progrès économique et une floraison culturelle sans précédent.
Pour en savoir plus sur l’apogée de l’Empire romain : Les conquêtes de l’Empire romain du IIIe au Ier siècle av. JC.
La fragilisation de l’Empire au IIIe siècle
Le IIIe siècle marque une période d’instabilité connue sous le nom de « Crise du troisième siècle » ou « Anarchie militaire » (235-284 ap. J.-C.). Durant cette période, l’Empire est déchiré par des conflits internes, des invasions barbares, une inflation galopante et une épidémie dévastatrice (la peste de Cyprien).
Cette crise prend fin avec l’arrivée au pouvoir de Dioclétien en 284 ap. J.-C. Il met en place un certain nombre de réformes politiques, économiques et militaires pour stabiliser l’Empire, notamment le système de la Tétrarchie, qui divise le pouvoir impérial entre quatre dirigeants pour mieux gérer l’immensité du territoire. De plus, il réorganise l’administration de l’Empire en créant une nouvelle division territoriale : les diocèses. Chaque diocèse est sous l’autorité d’un gouverneur appelé « Vicarius ».
Les grandes invasions barbares
L’Empire romain, du IIe au Ve siècle, est le théâtre d’une série d’incursions et de migrations massives connues sous le nom d’invasions barbares. Cette époque tumultueuse voit une série de peuples d’Europe de l’est et même d’Asie franchir les frontières de l’Empire, provoquant des guerres, des pillages, et un chaos de plus en plus prégnant.
Les Wisigoths entrent à Rome en 410 sous la direction d’Alaric, puis s’établissent dans la péninsule ibérique. Les Ostrogoths, sous la houlette de Théodoric le Grand, établissent un royaume en Italie. Les Vandales, après un passage destructeur en Gaule et en Hispanie, établissent un royaume puissant en Afrique du Nord, dont le pillage de Rome en 455 est l’apogée. Les Angles et les Saxons (qui donnera le terme « anglo-saxon ») traversent la Manche et fondent de nombreux royaumes sur l’île de Bretagne, donnant plus tard naissance à l’Angleterre. Les Francs, quant à eux, finissent par s’établir au nord de la Gaule et fondent ce qui deviendra le royaume de France. Les Burgondes, eux, s’installent dans l’Est de la Gaule. Finalement, les Huns, menés par leur roi Attila, terrorisent l’Europe de l’Est et l’Ouest, avant d’être finalement arrêtés à la bataille des Champs Catalauniques (à Châlon-en-Champagne) par les Francs en 451.
Ces invasions façonnent l’Europe médiévale, remplaçant progressivement l’Empire romain par une mosaïque de royaumes Barbares.
2. La naissance du royaume des Francs
Le 4 septembre 476 marque une date clé dans l’histoire de l’Occident : la chute de l’Empire romain. Romulus Augustule – dernier empereur romain – laisse une Europe affaiblie, favorisant l’établissement de royaumes Barbares.
Depuis plusieurs décennies, les Francs – une tribu Barbare sous le commandement de Mérovée puis Childeric – ont établi un petit royaume (correspondant à l’actuelle Belgique) au milieu d’un territoire toujours occupé par l’Empire romain : c’est le royaume des Francs saliens (par opposition aux Francs rhénans qui se trouvent de l’autre côté du Rhin).
Le peuple des Francs saliens est fédéré à l’Empire romain. Ils ont des coutumes mi-barbares (comme les longs cheveux tressés qui étaient un symbôle de force) mi-romaines (ils frappent la monnaie avec le portrait de l’empereur romain). On retrouve par exemple dans la scépulture de Childéric – roi des Francs et fils de Mérovée – une bague en or symbolisant l’Officier romain.
L’Empire romain est allié militairement aux Francs saliens, notamment pour repousser les avancées des Huns, une tribu turco-mongole considérée comme un peuple « encore plus barbare que les Barbares ». En 451, Mérovée – roi des Francs saliens – remporte la célèbre bataille des champs catalauniques (à Châlons-en-champagne) repoussant les Huns et leur chef Attila.
3. Avènement de Clovis
En 481, Childeric meurt et son fils Clovis lui succède, à peine âgé de 15 ans. Jeune, mais déjà prêt à porter les armes, comme le veut la tradition franque (la majorité marquant le droit du port d’armes est obtenue à 12 ans). Le royaume des Francs (saliens et rhénans) se fortifie autour de sa capitale Tournai. L’Empire romain, lui, se désagrège petit à petit.
Origine francique de Clovis
L’origine du nom Clovis vient du mot francique « Hlodowig », composé des racines hlod (renommé, illustre) et wig (combat), c’est-à-dire « illustre au combat ». Le nom « Louis », utilisé par de nombreux rois de France, vient lui-même de Clovis.
II- Clovis et l’expansion des Francs
1. Conversion et alliance avec l’Église
Bataille de Tolbiac
En 496, les Alamans (un peuple Barbare possèdant un royaume au niveau de l’actuel sud-ouest de l’Allemagne) menacent les Francs rhénans dans le bassin de Cologne. Clovis affronte les Alamans lors de la fameuse bataille de Tolbiac où il fait le vœu de se convertir au christianisme si Dieu lui donne la victoire. Une victoire qui lui est accordée et qui conduira à son baptême deux ans plus tard.
Clovis, alors âgé de 20 ans, comprend que celui qui veut détenir la puissance publique doit s’appuyer sur l’autorité morale des évêques, notamment à la suite d’une lettre reçue par l’évêque Saint-Rémi. Son union avec Clotilde, une princesse burgonde catholique, le rapproche encore plus du christianisme.
Baptême de Clovis
Le 25 Décembre 496 ou 497 (l’Histoire manque de précision sur cette date), Clovis est baptisé à Reims par l’évêque Saint-Rémi. L’Histoire retiendra la phrase célèbre de Saint-Remi : « Courbe toi fier Sicambre (Clovis appartenait à la tribu des Sicambres), adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré ». Avec ce geste, il est non seulement accepté par l’élite cléricale et la noblesse gallo-romaine, mais il s’inscrit aussi dans la continuité de la civilisation romaine en tant que défenseur du christianisme.
Le même jour, 3000 guerriers francs reçoivent également leur baptême. Le peuple franc est alors unifié autour de deux systèmes de valeurs : les valeurs guerrières des Francs et les valeurs chrétiennes des romains.
Depuis ce baptême à Reims, tous les rois de France se sont fait baptiser dans la même cathédrale depuis Louis VI (XIIème siècle) jusqu’à Charles X (c’est à dire même après la Révolution et l’Empire), sauf Henri IV qui a dû se faire baptiser dans la cathédrale de Chartres car c’était l’époque de la guerre civile.
Evangélisation du peuple
La population s’évangélise, notamment les hautes strates de la société. C’est d’ailleurs à cette époque que naît le mot « paysan » qui viendrait du mot « païen ». Les Francs christianisés construisent des baptistères, des monastères et des palais épiscopaux. Un nouveau peuple gallo-romain et chrétien est en train de naître.
2. L’expansion territoriale des Francs
Clovis Ier va conquérir l’ensemble de la Gaule en partant d’un petit territoire au nord de celle-ci. En effet, lorsqu’il arrive sur le trône des Francs, la Gaule est divisée en six régions : une partie des reliques de l’Etat romain au nord, le royaume des Francs, le royaume des Wisigoths au sud dont la capitale est Toulouse, les Ostrogoths au sud-est de la Gaule et en Italie, les Burgondes dans l’actuelle Bourgogne dont la capitale était Lyon, les Alamans le long du Rhin.
Victoire contre Syagrius et vase de Soisson
En 486, Clovis affronte et vainc l’empereur romain Syagrius. Les Francs rassemblent leur butin (notamment en pillant les Eglises) et Clovis remarque un certain vase qu’il veut garder pour lui-même. C’est le fameux vase de Soisson. L’Evêque Saint-Rémi revendique également ce vase. Clovis consulte alors un de ses soldats afin de sonder l’avis de sa garde rapprochée. Ce dernier préfère briser le vase d’un coup de Francisque, plutôt que de prendre partie pour Clovis ou Saint-Rémi. Humilié par ce soldat rebelle, Clovis se vengera un an plus tard en le décapitant devant toute son armée.
Annexion du royaume Wisigoth
La volonté de Clovis d’étendre son territoire vers le sud l’amène à affronter les Wisigoths. L’Empereur romain d’Orient, Anastase, lui apporte son soutien, cherchant à restaurer la méditérranée romaine.
Au printemps 507, lors de la bataille de Vouillé (20 km au nord-ouest de Poitiers), il remporte une victoire majeure en tuant de ses propres mains le roi Alaric. Les Wisigoths se replient vers l’Espagne, laissant Clovis prendre le contrôle d’Angoulême, Bordeaux et Toulouse. Seule la Provence reste sous le contrôle des Wisigoths.
Avec le mouvement du centre de gravité du royaume vers le sud, Paris – connue sous le nom de Lutèce – devient la capitale en substitution de Soisson. En plus de mieux correspondre au centre géographique du royaume, Paris est un site insulaire et remarquablement fortifié, et s’établit comme le carrefour commercial entre le nord et le sud.
Clovis Consul romain
Après ses victoires, et sous l’initiative de l’Empereur Anastase, Clovis est reconnu digne de porter les insignes du Consulat (tunique pourpre). Lors de son triomphe en 508 à Tours, il est acclamé au titre de Consul et d’Auguste. Cette reconnaissance symbolise la continuité entre l’ancien Empire romain et le nouveau royaume des Francs, témoignant de la persistance de l’influence romaine en Europe de l’Ouest. Le roi Clovis n’est pas du tout en rupture de l’Empire romain comme l’on pourrait le penser à première vue.
3. Unification du royaume
Malgré ses victoires militaires et sa conversion au christianisme, il manquait une chose à Clovis pour unifier son royaume : une loi. Inspiré par le droit romain, il met à jour le Bréviaire d’Alaric (texte de loi Wisigoth), introduisant une nouvelle loi sous l’influence de la chrétienté : la loi Salique.
Création de la loi Salique
La loi Salique est une sorte de première Constitution du royaume et devient un instrument d’unification. Par cette loi, Clovis affirme son statut de roi, responsable des lois devant Dieu, et renforce son pouvoir sur le royaume. Le pouvoir temporel revient au roi, le spirituel au Pape. C’est la conception du pouvoir du Moyen Âge.
La loi Salique est célèbre pour sa clause d’exclusion des femmes de la succession au trône, une règle qui a joué un rôle important dans l’histoire de la monarchie française. Depuis les Francs saliens jusqu’à Charles X aucune femme n’a été reine de France, sauf en étant la femme du roi. Contrairement à l’Angleterre avec par exemple Elizabeth I de 1558 à 1603, Victoria de 1837 à 1901, et bien-sûr la reine Elizabeth II de 1952 à 2022.
Clovis, premier roi chrétien de tous les Francs
Clovis est le premier roi franc à s’être converti au christianisme. Il est également le premier roi de tous les Francs, chose rare à l’époque, car à chaque mort d’un roi le territoire franc était partagé entre tous les fils. Cette coutume franque de succession était d’ailleurs inscrite dans la loi Salique et ce n’est qu’à partir de Hugues Capet (roi à partir de 987) que la France n’aura qu’un seul roi au travers des siècles.
4. Héritage de Clovis
Clovis meurt le 27 Novembre 511. Son tombeau qui reposait dans l’Eglise Sainte-Geneviève (rasée au XIXème siècle) n’a toujours pas été retrouvé.
Il laisse derrière lui un royaume constitué du nord de la Loire, de l’Aquitaine et de l’Auvergne. Sa conversion au christianisme, sa collaboration étroite avec l’Église, son expansion territoriale et la création de la loi Salique sont autant d’éléments qui ont contribué à façonner l’Histoire de la France.
Cependant, sa mort marque le début d’une période tumultueuse dans l’Histoire de la France médiévale. Le royaume franc, qui s’étend du Rhin aux Pyrénées, est alors morcelé en quatre petits royaumes.
III- La succession de Clovis : une mosaïque de royaumes jusqu’à Dagobert
1. La division des royaumes
À la mort de Clovis, le royaume est partagé entre ses quatre fils : Thierry Ier hérite du trône de Reims, Clodomir celui d’Orléans, Childebert I devient roi de Paris, et Clotaire I se voit confier le royaume de Soissons. Malgré la proximité de leurs capitales, les frères ne vont cesser de se battre pour le contrôle des territoires, donnant lieu à un long siècle de rivalités et de guerres intestines, marquant un chapitre plutôt chaotique de l’Histoire de France.
2. Le règne de Clotaire I
Le temps passe, et les quatre fils de Clovis meurent l’un après l’autre. Finalement, en 558, après la mort de Childebert I, Clotaire I récupère tous les royaumes et devient le seul roi des Francs. Il aura donc fallu attendre 47 ans après la mort de Clovis pour que le royaume retrouve son unité.
Clotaire I fut à la tête d’un royaume de la taille d’un Empire, qui ne fut dépassé que par deux empereurs dans l’Histoire de France : Charlemagne et Napoléon Ier. Mais cette unification est de courte durée. Trois ans seulement après l’avenement de Clotaire I roi de tous les Francs, le royaume est de nouveau partagé à la mort de ce dernier en 561.
3. Le Morcellement du royaume : un éternel recommencement
À la mort de Clotaire I en 561, le royaume est à nouveau partagé entre ses quatre fils :
– Charibert I devient roi de Paris (qui traverse la france du nord-ouest au sud-ouest, sans la Bretagne dite « Armorique », qui était habitée par des tribus celtiques),
– Gontran roi d’Orléans et de Bourgogne,
– Sigebert I roi de Reims et d’Austrasie (une partie au nord-est et l’Auvergne actuelle),
– Chilperic I roi de Soissons (actuelle Belgique).
Les frères s’affrontent à nouveau, et une fois de plus, le royaume éclate en plusieurs entités.
La naissance du conflit entre Austrasie et Neustrie
Le conflit entre la Neustrie (partie nord-ouest du royaume franc) et l’Austrasie (partie nord-est) est de plus en plus présent. Les rois meurent les uns après les autres, une génération passe, et à la fin du VIème siècle il ne reste plus que Childebert II et Clotaire II. Childebert II finit empoisonné avec son épouse en 595. Clotaire II est donc le dernier survivant des frères, mais il n’est pas seul à gouverner : il doit composer avec les deux fils de Childebert II : Thierry II à la tête de la Bourgogne et Thibert II à la tête de l’Austrasie.
Les deux frères ne se supportent pas, ce qui entraîne une guerre fratricide. En 612, Thierry sort victorieux et ordonne l’exécution de son frère. Il unifie donc le royaume, mais il meurt l’année suivante en 613, laissant derrière lui un unique héritier : Sigebert II.
Clotaire II : Le Retour du Roi
Clotaire II, toujours en vie, n’hésite pas à saisir cette opportunité. Il élimine son jeune cousin Sigebert II et devient le seul roi des Francs. Le royaume est réunifié… Pour un temps seulement.
Clotaire II régnera jusqu’en 629 avant que son royaume ne soit à nouveau partagé… L’histoire des divisions se répète éternellement.
4. La prise du pouvoir de Dagobert I
À la mort de Clotaire II en 629, le royaume est partagé entre ses deux fils : Dagobert I, qui devient roi de Neustrie, d’Austrasie et de Bourgogne, et Caribert II, qui règne seulement sur l’Aquitaine.
Caribert II meurt en 632, et Dagobert I en profite pour réunifier le royaume. Bien que la gouvernence de Dagobert I soit de courte durée (il meurt en 639), ses oeuvres et sa bonté le feront entrer dans l’Histoire.
Comment Dagobert réussira-t-il à unifier le royaume des Francs ? Pourquoi nous souvenons-nous de lui encore aujourd’hui ? A quoi ressemblaient les rois fainéants aux VIIe et VIIIe siècles ? Comment Charles Martel a-t-il repoussé l’invasion musulmane ? Comment la dynastie des Carolingiens a-t-elle remplacé celle des Mérovingiens ?
Je vous invite à découvrir les réponses dans le deuxième article de l’épopée des rois de France : Comment les rois Carolingiens succèdent-ils aux Mérovingiens ?
En attendant, vous trouverez les évènements historiques du prochain article dans la frise chronologique ci-dessous.
Bonjour Julien,
Je viens de découvrir votre blog ce matin et je suis très admiratif de votre capacité de simplification pour rendre l’Histoire accessible, de la clarté des exposés et de la qualité des schémas, cartes et illustrations! Votre parcours et vos projets sont très intéressants et je vais recommander la lecture du blog à mes proches.
Une petite rectification toutefois dans l’article sur Clovis: Après son baptême, vous dites qu’après lui tous les rois à partir de Louis VI se sont fait « baptiser » à Reims. Je pense que vous voulez dire « sacrer » ou « couronner » car les rois n’ont que très rarement été baptisés à Reims. Ils l’étaient en général sur le lieu de leur naissance. De même, Henri IV n’a pas été « baptisé » mais sacré ou couronné à Chartres.
Cordialement,
Louis Denis
Merci Louis pour votre retour. En effet le but de ce blog est de rendre l’histoire intéressante et facilement compréhensible. Nous bénéficions d’un patrimoine exceptionnel en France et je suis heureux de contribuer, à mon échelle, à le faire perdurer.
Au plaisir,
Julien