
Cet article est le troisième numéro de la série l’épopée des rois de France.
Dans le chapitre précédent (Comment les rois Carolingiens succèdent-ils aux Mérovingiens ?), nous avions vu comment Dagobert Ier a réussi à unifier le royaume des Francs et pourquoi son héritage est toujours présent dans nos mémoires collectives. Egalement, comment Charles Martel a repoussé l’invasion musulmane et comment la dynastie des Carolingiens a progressivement remplacé celle des Mérovingiens. Nous nous sommes arrêtés à la succession de Pepin le Bref par Charlemagne, mais n’avons pas encore présenté l’ascension au pouvoir du premier Empereur d’Occident.
Comment Charlemagne met-il en place la dynastie carolingienne ? Comment devient-il Empereur d’Occident et façonne-t-il l’Europe médiévale ? Quel est son héritage ?
Temps de lecture : environ 15 minutes.
Frise chronologique – L’avènement des Carolingiens : de Pepin le Bref à Charles le Chauve
I- Charlemagne et le début de la dynastie carolingienne
1. Naissance de Charlemagne
Charles voit le jour aux alentours de 742 (les historiens ont du mal à trouver une date exacte). Il est le fils de Pepin le Bref et de Berthe de Laon, également connue sous le nom de Berthe aux grands pieds. À la mort de son père en 768, la tradition franque de succession se met en place. Charles et son frère Carloman sont tous deux élus rois par une assemblée populaire. L’Austrasie est alors sous la gouverne de Carloman tandis que Charles règne sur la Neustrie, l’Aquitaine et la Bourgogne.
2. Charlemagne roi des Francs
Charles monte sur le trône à la mort de son frère Carloman
En 771, Carloman, le frère cadet de Charles, meurt. Charles, désormais seul sur le trône, devient le souverain incontesté du royaume des Francs, consolidant son pouvoir sur un territoire étendu qui s’étire de l’actuelle France jusqu’à certaines parties de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Italie.
C’est le début de la dynastie carolingienne qui marquera l’Histoire de la France et de l’Europe.
Une vision d’unification de l’Europe
Charles, qui allait entrer dans l’histoire sous le nom de Charlemagne, ou Charles le Grand, est un dirigeant ambitieux et puissant. Sa vision est plus grande que le simple royaume : il souhaite unifier l’Europe sous une seule et même bannière. C’est le début d’une série de conquêtes qui changeront la face du continent.
3. Les conquêtes de Charlemagne

La conquête de l’Italie du nord
Charlemagne commence par s’attaquer au royaume Lombard au nord de l’Italie. En 774, la capitale Pavia tombe à la suite d’un siège de l’armée franque. Il progresse ensuite vers la Bavière qu’il soumet en 788. Une politique d’intégration se met alors en place, invitant l’aristocratie à rejoindre le royaume franc. A noter que c’est toujours le même principe : il faut conquérir par les armes mais aussi politiquement en convaincant les élites en place, puis placer ses propres dirigeants, souvent des membres de la famille.
Vers l’Est : les Avars et l’Empire d’Orient
Après l’intégration de la Bavière en 788, Charlemagne se tourne vers l’Est en 791 et entreprend une expédition contre les Avars, un peuple mongol vivant dans l’actuelle Hongrie. Malgré une stratégie ingénieuse utilisant le Danube pour le transport de sa cavalerie (environ 10000 hommes) et de la logistique, Charlemagne est contraint de faire demi-tour face à la tactique de la terre brûlée des Avars.
Néanmoins, en 795, un camp ennemi est capturé par Pépin, le fils de Charlemagne. Le territoire Avar est alors placé sous le contrôle des Francs et christianisé. Le butin de guerre est envoyé à Aix-la-Chapelle, permettant à Charlemagne de récompenser largement ses fidèles.

La conquête du royaume de Saxe
Les Saxons – un peuple germanique païen vivant sur les territoires de l’actuelle Allemagne, les Flandres et la Lorraine – sont le prochain défi de Charlemagne. Le roi des Francs est persuadé que son royaume ne sera pas en sécurité tant que les Saxons seront païens. Il impose alors la loi du fer de Dieu : les conquis doivent choisir entre le baptême ou la mort.

La conquête de la Saxe se fait en plusieurs étapes. Après une première révolte en 780, une partie de l’aristocratie saxonne accepte d’intégrer le royaume franc en 782. En 785, le chef de guerre Widukind accepte de se rendre contre la promesse de ne pas être tué ; il se fait baptiser. De nouvelles révoltes éclatent entre 792 et 795, notamment avec l’aide des Frisons (ancêtres des Danois) mais elles sont rapidement étouffées par Charlemagne qui continue son avancée jusqu’à l’Elbe.
L’aventure espagnole et la Chanson de Roland
L’Espagne est sous le règne islamique des Maures depuis 711. Charlemagne, dans sa volonté d’expansion, décide de franchir les Pyrénées vers Saragosse en 778. Cependant, il n’arrive pas à prendre la ville et fait demi-tour, non sans piller la ville de Pampelune sur son chemin. Les Vascons (ancêtres des Gascons et des Basques) se vengent et attaquent l’armée de Charlemagne.
Parmi les victimes, on compte Roland, un serviteur dévoué du roi. Sa mort inspire la Chanson de Roland, un grand poème épique et chanson de geste écrit à la fin du XIème siècle. Ce texte, qui transforme Roland en martyr chrétien et présente la guerre comme un conflit saint, a probablement été écrit pour donner un fondement historique aux Croisades, bien que Roland soit mort de l’affrontement avec l’armée basque et non l’armée sarrasine (musulmane).
Vers le sacre impérial
Les conquêtes de Charlemagne, qui ont largement étendu les frontières du royaume franc et unifié diverses tribus et cultures sous une autorité commune, ont considérablement renforcé son pouvoir royal. Ces victoires, couplées à sa collaboration étroite avec le Pape Léon III, l’ont propulsé vers le couronnement impérial.
II- Charlemagne Empereur d’Occident
1. Le sacre impérial
L’entente avec le Pape
Charlemagne maintient une entente cordiale avec le Pape, conscient de l’importance politique de cette alliance. Il étend progressivement son royaume et finalement, pour légitimer son autorité sur l’ensemble des peuples qu’il gouverne, il doit devenir Empereur d’Occident.
Couronnement de Charlemagne
Le 25 décembre 800, Charlemagne est couronné empereur par le Pape Léon III à la basilique Saint-Pierre de Rome.

Le sacre de Charlemagne porte en lui une profonde symbolique : il signe le renouveau de la notion d’un Empire romain d’Occident, et simultanément, il inaugure l’idée d’une Europe occidentale comme entité politique consolidée. Ce geste confère à la France une place pivot dans la sphère culturelle et politique européenne, une place qu’elle continuera d’occuper bien après le décès de Charlemagne en 814.
2. Etablissement de la gouvernance à Aix-la-Chapelle
Le palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, inspiré des traditions romaines et byzantines, est construit sur ordre de l’Empereur qui y réside de 801 jusqu’à sa mort en 814. Ce palais multifonctionnel sert de tribunal, de garnison militaire, de manufacture de monnaie et de résidence royale. Aix-la-Chapelle devient une capitale intellectuelle, souvent décrite comme l’Athènes contemporaine.
Charlemagne y crée l’Académie palatine, un cercle de lettrés destiné à former la future génération de comtes et de gestionnaires, avec une emphase sur la lecture et l’écriture. La cour devient également le lieu de réception des ambassadeurs. Malgré ses ambitions de rivaliser avec le palais de Constantinople, le palais de Charlemagne demeure deux fois moins spacieux que son homologue byzantin.
3. Charlemagne : bâtisseur d’Empire et architecte de l’Europe médiévale
Au IXème siècle, trois empires rivaux se partagent le contour de la Méditerrannée : l’Empire carolingien, l’Empire byzantin, l’Empire maure. Ce nouveau monde, en raison des antagonies religieuses, ne peut pas tirer profit du commerce à travers la Méditerrannée contrairement au monde romain. D’où la restructuration de l’Empire franc qui oriente son économie autour des régions du Rhin et de la Meuse, ce qui bénéficiera au développement de la future Allemagne.
Un Nouveau Souffle Monétaire
En 794, Charlemagne abandonne l’or comme base du système monétaire, en faveur de l’argent.

Ce changement de cap stimule les transactions commerciales à travers l’Empire, facilitant les échanges entre les différentes régions et donne un nouvel élan à la vie rurale. Les paysans pouvent désormais vendre le surplus de leur production et améliorer leurs conditions de vie – et non plus seulement produire pour survivre et payer leur redevence à leur seigneur.
Pour concrétiser ce changement, Charlemagne lance la création d’ateliers pour frapper la monnaie.
L’Empire n’évolue pas seulement économiquement, mais aussi socialement et administrativement.
Administration et Infrastructure
Charlemagne orchestre l’entretien des routes et le développement des foires, permettant ainsi un commerce florissant.
Au niveau administratif, il divise son Empire en plus de 200 comtés. Régulièrement, il leur rend visite, prenant le pouls de l’Empire en consultant les chefs du clergé et les représentants de la population.
Charlemagne a une approche méthodique de la gouvernance. Avant 800, il avait rédigé neuf capitulaires (sortes de décrets royaux). Après 800, ce chiffre grimpe à 47 ! Sa priorité ? L’uniformité – une même foi, une même morale, une même culture pour tous. L’expansion du christianisme tombait à point nommé.
L’Empire est unifié par une religion commune dont l’outil est l’Eglise. Les missi dominici sont les messagers du pouvoir. Ils assurent la centralisation de l’information et donc le contrôle des territoires les plus éloignés.
Sous l’influence de l’Église, l’esclavage entre Chrétiens est condamné, et les esclaves sont transformés en serfs, assujettis à leur seigneur, mais avec des droits et protections supplémentaires.
III- L’héritage de Charlemagne
1. Le père de l’Europe
Charlemagne meurt le 28 Janvier 814 à Aix-la-Chapelle après un règne de 46 ans. Il laisse derrière lui un Empire qui couvrait une grande partie de l’Europe occidentale et centrale, incluant la France actuelle, la Belgique, les Pays-Bas, une grande partie de l’Italie, l’Autriche, une partie de l’Espagne, et une grande partie de l’Allemagne.

Charlemagne est souvent considéré comme le « Père de l’Europe » car il a unifié une grande partie du continent et a jeté les bases de ce qui est devenu le Saint-Empire romain germanique à partir de 962 avec le couronnement de l’empereur Otton Ier.
Le règne de Charlemagne est souvent associé à la Renaissance carolingienne, une période de renouveau culturel et intellectuel.
2. La Rennaisance carolingienne
La minuscule caroline
La minuscule caroline, initiée sous Charlemagne au VIIIème siècle au travers de l’Ecole palatine, est une réforme majeure de l’écriture qui a eu des répercussions durables. Plus lisible et régulière que la minuscule mérovingienne précédente, elle s’est répandue à partir de l’abbaye Saint-Martin de Tours dans tout l’Empire carolingien via des codices, des capitulaires et d’autres textes religieux. Elle a facilité la copie et la diffusion des textes anciens et a grandement contribué à la standardisation de l’écriture en Europe.

Bien qu’elle ait évolué en écriture gothique au XIIème siècle, sa clarté et sa lisibilité ont favorisé sa renaissance au XVème siècle. Des humanistes florentins, en quête d’une écriture plus lisible que le gothique, ont redécouvert la minuscule caroline et l’ont adaptée pour créer l’écriture humanistique, ce qui a eu un impact majeur sur la diffusion des textes pendant la Renaissance.
La préservation des textes classiques
Sous l’impulsion de Charlemagne, les monastères et les écoles ont pris l’initiative de copier et de préserver les textes anciens, notamment ceux des auteurs grecs et romains. Cela a permis de sauvegarder un grand nombre de textes qui auraient pu être perdus, contribuant ainsi à la transmission du savoir antique à travers les siècles.
L’architecture et l’art
La Renaissance carolingienne a également apporté un renouveau dans les domaines de l’architecture et de l’art. Le palais d’Aix-la-Chapelle de Charlemagne est un exemple majeur de l’architecture carolingienne, bien que grandement inspiré de l’architecture byzantine de l’époque.

L’éducation et la culture
Charlemagne a encouragé le développement de l’éducation en instaurant des écoles palatines où étaient enseignées la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la musique et la géométrie, un ensemble de disciplines connues sous le nom des « sept arts libéraux ». Il a invité des érudits de toute l’Europe, tels qu’Alcuin d’York qui dirigea l’école palatine à Aix-la-Chapelle, pour enseigner dans ces écoles.
3. Le renforcement du christianisme en Europe
Charlemagne a renforcé le christianisme comme religion dominante en Europe de l’Ouest, notamment en convertissant de force les peuples qu’il a conquis, comme les Saxons. Son couronnement en tant qu’empereur par le pape Léon III a renforcé l’union entre la couronne et l’Église, une caractéristique qui a marqué le Moyen Âge.
4. Reliques posthumes
La châsse (coffre destiné à abriter des reliques sacrées) contenant les reliques de Charlemagne se trouve dans la chapelle de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Cette chapelle, érigée sous le règne de Charlemagne, est devenue son lieu de sépulture après sa mort en 814.
En 1000, l’empereur Othon III fait ouvrir le tombeau de Charlemagne, et ses restes ont ensuite été placés dans un sarcophage précieux. Plus tard, en 1215, Frédéric Barberousse fait transférer les restes de Charlemagne dans une châsse en or et argent, placée dans la Cathédrale d’Aix-la-Chapelle.

Le flambeau est repris par son fils Louis I, également connu sous le nom de Louis le Pieux, qui tentera de consolider l’Empire légué par son père.
Comment les successeurs de Charlemagne ont-ils fragilisé l’Empire carolingien ? Est-ce que les nouveaux rois francs ont réussi à contenir l’avancée des Vikings ? Comment Hugues Capet a-t-il mis en place la dynastie capétienne ?
Je vous invite à découvrir les réponses dans le quatrième article de l’épopée des rois de France : Comment les rois Capétiens succèdent-ils aux carolingiens ?
Olivia Duguy